ripaton@jlai.lu to France@jlai.lu · 1 year agoSoirĂ©es, vacances et dĂ©corations : scandale Ă la LĂ©gion dâhonneurwww.mediapart.frexternal-linkmessage-square7fedilinkarrow-up130arrow-down10
arrow-up130arrow-down1external-linkSoirĂ©es, vacances et dĂ©corations : scandale Ă la LĂ©gion dâhonneurwww.mediapart.frripaton@jlai.lu to France@jlai.lu · 1 year agomessage-square7fedilink
minus-squareripaton@jlai.luOPlinkfedilinkarrow-up8·1 year agoPendant des annĂ©es, les noms sont apparus au compte-goutte dans le Journal officiel sans soulever de question. DĂ©cret du 2 mai 2017 : une fille de Jean-Pierre Bansard fait son entrĂ©e dans lâordre de la LĂ©gion dâhonneur. Novembre 2018 : une autre fille de Jean-Pierre Bansard rejoint lâordre national du MĂ©rite. DĂ©cembre 2018 : câest au tour du fils de Jean-Pierre Bansard (LĂ©gion dâhonneur), puis, en mai 2019, dâune membre du parti politique de Jean-Pierre Bansard (MĂ©rite). Et ainsi de suite. JusquâĂ cette nouvelle promotion, celle de trop, qui a suscitĂ© les premiers commentaires dans les couloirs du SĂ©nat. Le 23 novembre 2022, Sarah Cacoub, assistante de Jean-Pierre Bansard, dĂ©croche aussi la LĂ©gion dâhonneur. Dans le dĂ©cret qui lâannonce, la distinction de cette jeune femme de 37 ans est ainsi justifiĂ©e : « collaboratrice parlementaire ; 14 ans de services ». Un peu maigre pour se voir accorder une dĂ©coration censĂ©e « rĂ©compenser des mĂ©rites Ă©minents acquis au service de la nation ». Illustration 1 HĂŽtel Matignon, cĂ©rĂ©monie de remise de la LĂ©gion dâhonneur. © Photo Denis / REA DâaprĂšs une enquĂȘte de Mediapart, cette distribution massive de dĂ©corations Ă des proches de Jean-Pierre Bansard, sĂ©nateur de 83 ans peu connu du grand public mais qui figure parmi les 300 premiĂšres fortunes de France, est concomitante Ă un autre Ă©vĂ©nement : le rapprochement quâil a entrepris avec le gĂ©nĂ©ral BenoĂźt Puga, grand chancelier de la LĂ©gion dâhonneur de septembre 2016 Ă janvier 2023. Jean-Pierre Bansard, sĂ©nateur des Français et Françaises de lâĂ©tranger depuis 2021, trois ans aprĂšs avoir Ă©tĂ© destituĂ© Ă cause de pratiques clientĂ©listes rĂ©vĂ©lĂ©es par Mediapart, a nouĂ© avec le gĂ©nĂ©ral Puga, ancien chef dâĂ©tat-major particulier de deux prĂ©sidents (Nicolas Sarkozy et François Hollande), une relation quâil qualifie dâamicale, lâinvitant Ă participer Ă des dĂźners et Ă des Ă©vĂ©nements personnels, mais aussi Ă sĂ©journer dans une de ses villas en Corse. Ă la tĂȘte du groupe hĂŽtelier Cible, lâĂ©lu a aussi fait appel en 2018 en tant que prestataire Ă un des fils du gĂ©nĂ©ral Puga, qui venait tout juste de crĂ©er son entreprise. Il avait Ă©galement embauchĂ©, un an plus tĂŽt, la fille dâun administrateur du palais de la LĂ©gion dâhonneur. Dans le mĂȘme temps, Jean-Pierre Bansard a proposĂ© Ă plusieurs de ses proches dâĂȘtre dĂ©corĂ©s de la LĂ©gion dâhonneur et de lâordre national du MĂ©rite, pilotant directement ces demandes, dâaprĂšs nos informations. Selon un dĂ©compte rĂ©alisĂ© entre 2016 et 2023, au moins douze personnes de son entourage familial ou politique ont Ă©tĂ© dĂ©corĂ©es sur cette pĂ©riode (lire le dĂ©tail dans notre BoĂźte noire). Ă chaque fois, comme le prĂ©voient les textes, les nominations ont Ă©tĂ© validĂ©es par le conseil de lâordre de la LĂ©gion dâhonneur, sans que le grand chancelier ne se dĂ©porte des dossiers, malgrĂ© ses liens personnels avec Jean-Pierre Bansard. Mais surtout, dans six dossiers â dont celui de la collaboratrice parlementaire Sarah Cacoub â, les attributions ont Ă©tĂ© faites directement sur le contingent de la chancellerie (et non sur proposition ministĂ©rielle, comme câest majoritairement le cas), ce qui veut dire que les candidatures ont Ă©tĂ© portĂ©es par BenoĂźt Puga. En thĂ©orie, ces demandes particuliĂšres sont surtout censĂ©es venir compenser des oublis dans les demandes Ă©manant des ministĂšres, par exemple pour des vĂ©tĂ©rans de guerre, prĂ©cise un ancien de la LĂ©gion dâhonneur : « Le grand chancelier prĂ©sente les dossiers de son contingent en dĂ©but de sĂ©ance, le conseil de lâordre les avalise. » Il est de bon ton de se moquer de la LĂ©gion dâhonneur, de dire que depuis bien longtemps le mĂ©rite et lâamour de la nation ne constituent plus les principaux critĂšres dâattribution. Il nâempĂȘche : son prestige est quasi intact. Ă chaque promotion, la liste suscite articles et commentaires. Les anciens chefs dâĂtat la portent systĂ©matiquement Ă la veste. Et beaucoup de notables donneraient pĂšre et mĂšre, remueraient ciel et terre pour un jour pouvoir en ĂȘtre dĂ©corĂ©s. Est-il possible que dâautres aient pris un chemin bien plus simple et direct ? SollicitĂ©s par Mediapart, le gĂ©nĂ©ral et Jean-Pierre Bansard nâont pas rĂ©pondu Ă nos questions prĂ©cises. Au tĂ©lĂ©phone, le premier a Ă©vacuĂ© notre demande en affirmant quâil ne rĂ©pondait pas, « par principe », « aux questions des journalistes, notamment sur [sa] vie professionnelle ou privĂ©e ». Le second sâest murĂ© dans le silence, comme il le fait avec Mediapart depuis des annĂ©es. Ăgalement interrogĂ©e, la grande chancellerie de la LĂ©gion dâhonneur, dĂ©sormais dirigĂ©e par le gĂ©nĂ©ral François Lecointre (ancien chef dâĂ©tat-major particulier dâEmmanuel Macron), sâest contentĂ©e dâune rĂ©ponse gĂ©nĂ©rale. « Comme pour les propositions des ministres, les attributions faites sur le contingent du grand chancelier Ă©manent de sources diverses, parfois de parlementaires », a simplement rappelĂ© lâinstitution. En prĂ©cisant que toutes les demandes « font lâobjet de toutes les vĂ©rifications rĂ©glementaires et dâusage avant dâĂȘtre prĂ©sentĂ©es au conseil de lâordre qui Ă©met, Ă la majoritĂ©, un avis de recevabilitĂ© sur chacune ». Dans le code de la LĂ©gion dâhonneur, qui rĂ©git le fonctionnement des ordres nationaux, aucun article nâest consacrĂ© stricto sensu Ă la question des conflits dâintĂ©rĂȘts. Toutefois, selon un ancien membre de lâinstitution, des rĂšgles de bon sens sâappliquent : les membres du conseil de lâordre sâinterdisent de recevoir des faveurs et se dĂ©portent systĂ©matiquement sâils connaissent une des personnes concernĂ©es, pour se tenir Ă©loignĂ©s de toute forme de pression. Les millions [dâeuros], câest agrĂ©able. Mais la LĂ©gion dâhonneur, câest quelque chose dâautre. Ăa tient chaud. Jean-Pierre Bansard Sâil se montre aussi dĂ©vouĂ© pour dĂ©corer ses proches, câest que Jean-Pierre Bansard accorde lui-mĂȘme la plus haute importance aux titres honorifiques. Dans son bureau sur les Champs-ĂlysĂ©es, ce chef dâentreprise accompli expose fiĂšrement toutes ses dĂ©corations, glanĂ©es au fil des ans. « Câest quelquâun qui a une obsession de la respectabilitĂ© », rĂ©sume une de ses connaissances. Jean-Pierre Bansard, qui a dĂ©barquĂ© Ă Marseille en provenance dâOran en 1962, avec en tout et pour tout 200 francs en poche, sâappelait Ă lâĂ©poque BensaĂŻd. Il changera de nom pour Ă©chapper Ă lâantisĂ©mitisme. « Nous nâĂ©tions pas vraiment les bienvenus en mĂ©tropole. Il nây avait pas 36 façons de se faire une petite place. Il nây avait que le travail », se souvient-il, dans le portrait que lui a consacrĂ© en 2022 le journaliste du Point Romain Gubert dans son livre La DĂ©coration (Ă©ditions Grasset). Ă 22 ans, Jean-Pierre Bansard enchaĂźne les « petits boulots » sur le Vieux Port, avant de se lancer, en autodidacte, dans lâimport-export. Il fonde sa premiĂšre sociĂ©tĂ© de transit, achĂšte des entrepĂŽts du cĂŽtĂ© de Rungis puis crĂ©e au dĂ©but des annĂ©es 1980 le groupe immobilier Cible avec le dĂ©corateur Christian Liaigre. Lâhomme dâaffaires, qui rĂȘve de se faire une rĂ©putation, rĂ©nove le siĂšge de lâAcadĂ©mie Goncourt, rachĂšte la cĂ©lĂšbre marque Solex et prend la tĂȘte du Consistoire de 1992 Ă 1994. Avant de parvenir, bien des annĂ©es plus tard et aprĂšs plusieurs Ă©checs, Ă se faire Ă©lire au Parlement coĂ»te que coĂ»te. Dans La DĂ©coration, Bansard raconte comment il a « pleurĂ© une nuit entiĂšre » quand le premier ministre Raymond Barre lui a remis sa premiĂšre mĂ©daille, celle du MĂ©rite, Ă la fin des annĂ©es 1970. La scĂšne sâest rĂ©pĂ©tĂ©e quand il sâest fait Ă©pingler la LĂ©gion dâhonneur vingt ans plus tard. Jean-Pierre Bansard est ensuite fait « commandeur » en 2008 et accĂšde Ă la dignitĂ© de « grand officier » en 2015. « Les millions, câest agrĂ©able. Mais la LĂ©gion dâhonneur, câest quelque chose dâautre. Ăa tient chaud. Ăa brille dans le cĆur », dĂ©crit-il. [âŠ]
minus-squareripaton@jlai.luOPlinkfedilinkarrow-up8·1 year agoDans le livre, le sĂ©nateur sâexprime Ă©galement sur son lien dâ« amitiĂ© » avec le gĂ©nĂ©ral Puga, expliquant lâavoir « invitĂ© chez [lui] » en Corse pour des vacances. « Bansard ne doit rien au grand chancelier puisquâil a Ă©tĂ© dĂ©corĂ© bien avant la nomination de ce dernier », prend soin de prĂ©ciser le journaliste Romain Gubert. Si lâaffirmation vaut pour Jean-Pierre Bansard, elle ne sâapplique pas Ă ses proches. DâaprĂšs nos informations, le sĂ©nateur a fait construire, en 2013, un domaine de six villas de luxe sur les hauteurs de Calvi, Ă une dizaine de minutes de lâaĂ©roport. Câest lĂ que BenoĂźt Puga sâest rendu. « Une fois », assure-t-il Ă Mediapart par tĂ©lĂ©phone. A-t-il bien Ă©tĂ© invitĂ© dans son domaine par le sĂ©nateur ? « Oui, bien sĂ»r », confirme-t-il, en refusant dâen dire plus sur les conditions de cette invitation (durĂ©e, prise en charge du transport, etc.). « Calvi, ce ne sont pas les terres de Monsieur Bansard, je connais mieux Calvi que Monsieur Bansard », ajoute-t-il, avant dâindiquer quâil ne souhaite pas aller plus loin dans lâentretien. Il est vrai quâil y a notamment commandĂ© le 2e rĂ©giment de parachutistes, de 1996 Ă 1998. Les relations entre les deux hommes, aux tempĂ©raments si diffĂ©rents â « lâun tout en rondeurs, lâautre sec comme un combattant », relĂšve Romain Gubert dans son livre â ne sâarrĂȘtent pas lĂ . DâaprĂšs nos informations, le groupe Cible a fait appel en 2018 Ă la sociĂ©tĂ© Puga immobilier construction, que venait de crĂ©er lâun des fils du gĂ©nĂ©ral, pour participer aux travaux de rĂ©novation de lâhĂŽtel Le Marcel, situĂ© en face de la gare de lâEst Ă Paris. Selon un tĂ©moignage interne, lâidĂ©e de travailler avec cette toute jeune entreprise serait venue Ă Jean-Pierre Bansard lui-mĂȘme. Augustin Puga, alors ĂągĂ© de 27 ans, a participĂ© Ă des rĂ©unions de chantier en compagnie de Nathalie Bansard, lâune des filles du sĂ©nateur, qui dirige la filiale hĂŽteliĂšre de Cible. Mais, selon le tĂ©moin prĂ©cĂ©demment citĂ©, le rĂŽle de Puga immobilier construction aurait Ă©tĂ© limitĂ©, la dĂ©marche ayant surtout pour objectif de « mettre le pied Ă lâĂ©trier » au jeune entrepreneur pour « faire plaisir Ă son pĂšre ». ConfrontĂ©s Ă ces dĂ©clarations, Jean-Pierre Bansard et Augustin Puga nâont pas souhaitĂ© les commenter. Un an avant de faire appel Ă Puga immobilier construction, Cible avait dĂ©jĂ procĂ©dĂ© Ă un recrutement dans le mĂȘme Ă©cosystĂšme. La fille dâYves Minjollet, administrateur du palais de la LĂ©gion dâhonneur, a Ă©tĂ© recrutĂ©e Ă la sortie de ses Ă©tudes par le groupe de Jean-Pierre Bansard, Ă compter de mars 2017, sur un poste dâassistante de direction, quâelle a occupĂ© pendant plus de deux ans jusquâen octobre 2019. SollicitĂ©e par Mediapart, la jeune femme nâa pas retournĂ© notre demande dâentretien. Aujourdâhui Ă la retraite, son pĂšre nous a affirmĂ© que ce recrutement, combinĂ© Ă la prestation accordĂ©e au fils du gĂ©nĂ©ral Puga, Ă©tait un pur « hasard ». « Bansard, je ne le connais pas plus que ça. Il est venu aprĂšs avoir Ă©tĂ© Ă©levĂ© Ă la dignitĂ© de grand officier [en 2016] et a demandĂ© Ă ĂȘtre reçu par le grand chancelier. On mâa demandĂ© de lui montrer les salons, et voilĂ comment les choses se sont faites », nous a-t-il indiquĂ©, assurant ne pas avoir prĂ©sentĂ© sa fille Ă lâhomme dâaffaires. En mars 2017, au moment oĂč ce recrutement se fait, le fondateur du groupe Cible organise pour ses activitĂ©s politiques une soirĂ©e Ă lâhĂŽtel de Salm, le somptueux palais qui abrite le siĂšge de la LĂ©gion dâhonneur depuis 1804 sur les bords de Seine. Dans le but de rĂ©aliser son rĂȘve de devenir sĂ©nateur, Jean-Pierre Bansard a crĂ©Ă© en 2009 son propre microparti, lâASFE (Alliance solidaire des Français de lâĂ©tranger), lui permettant de concourir aux Ă©lections dans la circonscription unique des Français et Françaises de lâĂ©tranger, aussi grande par sa taille (le monde entier) que petite par son collĂšge Ă©lectoral (532 Ă©lecteurs et Ă©lectrices), faisant de cette anomalie dĂ©mocratique un paradis du clientĂ©lisme. Lâannulation de la premiĂšre Ă©lection de Jean-Pierre Bansard a donnĂ© lieu Ă un signalement du Conseil constitutionnel ayant dĂ©bouchĂ©, selon nos informations, sur lâouverture dâune enquĂȘte prĂ©liminaire par le parquet de Paris. Les investigations, confiĂ©es Ă la Brigade de rĂ©pression de la dĂ©linquance aux personnes (BRDP), sont toujours en cours, indique une source judiciaire. La fastueuse rĂ©ception de mars 2017 sâest tenue en prĂ©sence de nombreux conseillers et conseillĂšres consulaires, qui Ă©taient justement appelé·es Ă se rendre aux urnes six mois plus tard pour les sĂ©natoriales, auxquelles Jean-Pierre Bansard Ă©tait candidat. Pour son « dĂźner de gala », lâhomme dâaffaires a mis les petits plats dans les grands, offrant mĂȘme Ă ses invité·es un concert privĂ© de deux violoncellistes de renom, les sĆurs Camille et Julie Berthollet. MalgrĂ© le caractĂšre politique de lâĂ©vĂ©nement, il a fait rĂ©gler une partie de la note par le groupe Cible, et non par le parti ASFE, comme lâa rĂ©vĂ©lĂ© Mediapart en 2021. Jean-Pierre Bansard avait dĂ©jĂ privatisĂ© une premiĂšre fois lâhĂŽtel de Salm, le 6 octobre 2016. Cette fois, il sâagissait de cĂ©lĂ©brer « son Ă©lĂ©vation Ă la dignitĂ© de grand officier de la LĂ©gion dâhonneur » mais aussi de profiter de la « venue Ă Paris » des conseillers consulaires Ă lâoccasion de la « 25e session de lâAssemblĂ©e des Français de lâĂ©tranger (AFE) », comme lâindiquait le carton dâinvitation. Le document, siglĂ© du logo de lâASFE, annonçait la « prĂ©sence de Son Excellence le gĂ©nĂ©ral dâarmĂ©e BenoĂźt Puga », ainsi que « la participation des solistes internationaux du Conservatoire de Vienne ». Ă chaque fois, la rĂ©servation de lâhĂŽtel de Salm sâest faite par le biais du gardien des lieux, lâadministrateur Yves Minjollet. « Aucune prestation ne se fait sans que cela soit encadrĂ© par une convention », rappelle-t-il. QuestionnĂ©e sur cette situation, la grande chancellerie se contente dâindiquer que les privatisations, dont les recettes « contribuent directement Ă lâentretien des bĂątiments », se sont faites « pour des montants conformes aux tarifs fixĂ©s par le conseil de lâordre ». Une nouvelle « soirĂ©e de gala » est organisĂ©e le 6 octobre 2022, en lâhonneur de Jean-Pierre Bansard et de sa numĂ©ro 2, Ăvelyne Renaud-GarabĂ©dian. AssociĂ©e historique au sein du groupe Cible, cette derniĂšre a aussi dĂ©crochĂ© un siĂšge au SĂ©nat grĂące aux rĂ©sultats spectaculaires de lâASFE ces derniĂšres annĂ©es. Au Palais du Luxembourg, les deux Ă©lus siĂšgent dans le groupe Les RĂ©publicains (LR) et lâASFE prĂ©sente Ă nouveau une liste aux Ă©lections sĂ©natoriales du 24 septembre prochain, sur lesquelles figurent Ăvelyne Renaud-GarabĂ©dian et⊠Sarah Cacoub. Cette fois, la sauterie dâoctobre 2022 ne se tient plus dans les salons de lâhĂŽtel de Salm mais dans la salle de rĂ©ception de lâhĂŽtel Intercontinental, un cinq Ă©toiles que possĂšde le groupe Cible Ă deux pas de lâArc de Triomphe. Elle rassemble des conseillers et conseillĂšres consulaires, bien sĂ»r, et un parterre pour le moins hĂ©tĂ©roclite de personnalitĂ©s : le champion de taekwondo Pascal Gentil, lâavocate et ex-ministre Corinne Lepage, lâĂ©ditorialiste du Figaro Yves ThrĂ©ard (qui a aussi participĂ© Ă des vidĂ©os de lâASFE dans le passĂ©), comme lâa racontĂ© la Lettre A. Entre un concert dâEnrico Macias, venu avec quatre musiciens, et un sketch dâĂlie Semoun, surprise : voilĂ BenoĂźt Puga, en uniforme militaire, avec son Ă©charpe rouge de grand-croix de la LĂ©gion dâhonneur, qui se lĂšve de sa tablĂ©e pour prendre la parole devant lâassistance. « Jâai Ă©tĂ© trĂšs Ă©tonnĂ© de voir le gĂ©nĂ©ral prĂ©sent en tenue Ă cette soirĂ©e. Le contraste avec Ălie Semoun Ă©tait plutĂŽt saisissant », commente un invitĂ©, restĂ© incrĂ©dule devant cette scĂšne. InterrogĂ© sur la compatibilitĂ© entre ses fonctions et sa participation Ă cet Ă©vĂ©nement, BenoĂźt Puga relativise le poids politique de lâASFE, avec une explication peu comprĂ©hensible : « Câest un parti politique qui nâa dâexistence que pour la partie du SĂ©nat et la reprĂ©sentation des sĂ©nateurs. » Une assistante de Jean-Pierre Bansard mâa appelĂ© pour me dire que câĂ©tait une candidature superbe, jâai transmis mon CV. Un conseiller consulaire Pour le microparti de Jean-Pierre Bansard, le bĂ©nĂ©fice de cette proximitĂ© avec le grand chancelier ne sâarrĂȘte de toute Ă©vidence pas lĂ . En plus des dĂ©corations octroyĂ©es aux membres de sa famille, un ancien proche de lâhomme dâaffaires tĂ©moigne du fait que le sĂ©nateur aurait profitĂ© de sa position privilĂ©giĂ©e pour proposer « des dĂ©corations Ă des Ă©lus consulaires », grands Ă©lecteurs des sĂ©nateurs et sĂ©natrices donc, « y compris devant [lui] ». Un conseiller consulaire, basĂ© aux Ătats-Unis, affirme ainsi sâĂȘtre vu proposer dâintĂ©grer lâordre de la LĂ©gion dâhonneur au cours dâun dĂźner avec le sĂ©nateur. « Ensuite, une de ses assistantes mâa appelĂ©, une heure au tĂ©lĂ©phone, pour me dire que câĂ©tait une candidature superbe, jâai transmis mon CV », indique-t-il. Mais le processus se serait finalement brusquement interrompu, au cours dâun second rendez-vous avec Jean-Pierre Bansard. « Il mâa dit : âEst-ce que tu rejoins notre groupe [lâASFE] ?â Jâai dit non. Il mâa rĂ©pondu : âOn nâa pas besoin de toi mais apparemment tu avais besoin de moiâ, et mâa alors fait comprendre que je ne serais pas dĂ©corĂ© », retrace-t-il, en expliquant que « [son] dossier nâa dâailleurs pas Ă©tĂ© traitĂ© ensuite ». Comme lâĂ©crit le professeur de sociologie historique Olivier Ihl dans Le MĂ©rite et la RĂ©publique. Essai sur la sociĂ©tĂ© des Ă©mules (Ă©ditions Gallimard, 2007), ces remises publiques de dĂ©corations forment autant dâoccasions, pour les Ă©lu·es, « dâalimenter lâexpansion dâun rĂ©seau de pouvoir en [les] transformant en vĂ©ritable fontaine dâhonneur ». Dit autrement, la thĂšse de son enquĂȘte dĂ©fend lâidĂ©e que le vĂ©ritable bĂ©nĂ©ficiaire dâune dĂ©coration nâest pas tant celui qui la reçoit que celui qui permet de la recevoir. Antton Rouget
Pendant des annĂ©es, les noms sont apparus au compte-goutte dans le Journal officiel sans soulever de question. DĂ©cret du 2 mai 2017 : une fille de Jean-Pierre Bansard fait son entrĂ©e dans lâordre de la LĂ©gion dâhonneur. Novembre 2018 : une autre fille de Jean-Pierre Bansard rejoint lâordre national du MĂ©rite. DĂ©cembre 2018 : câest au tour du fils de Jean-Pierre Bansard (LĂ©gion dâhonneur), puis, en mai 2019, dâune membre du parti politique de Jean-Pierre Bansard (MĂ©rite). Et ainsi de suite.
JusquâĂ cette nouvelle promotion, celle de trop, qui a suscitĂ© les premiers commentaires dans les couloirs du SĂ©nat. Le 23 novembre 2022, Sarah Cacoub, assistante de Jean-Pierre Bansard, dĂ©croche aussi la LĂ©gion dâhonneur. Dans le dĂ©cret qui lâannonce, la distinction de cette jeune femme de 37 ans est ainsi justifiĂ©e : « collaboratrice parlementaire ; 14 ans de services ». Un peu maigre pour se voir accorder une dĂ©coration censĂ©e « rĂ©compenser des mĂ©rites Ă©minents acquis au service de la nation ». Illustration 1 HĂŽtel Matignon, cĂ©rĂ©monie de remise de la LĂ©gion dâhonneur. © Photo Denis / REA
DâaprĂšs une enquĂȘte de Mediapart, cette distribution massive de dĂ©corations Ă des proches de Jean-Pierre Bansard, sĂ©nateur de 83 ans peu connu du grand public mais qui figure parmi les 300 premiĂšres fortunes de France, est concomitante Ă un autre Ă©vĂ©nement : le rapprochement quâil a entrepris avec le gĂ©nĂ©ral BenoĂźt Puga, grand chancelier de la LĂ©gion dâhonneur de septembre 2016 Ă janvier 2023.
Jean-Pierre Bansard, sĂ©nateur des Français et Françaises de lâĂ©tranger depuis 2021, trois ans aprĂšs avoir Ă©tĂ© destituĂ© Ă cause de pratiques clientĂ©listes rĂ©vĂ©lĂ©es par Mediapart, a nouĂ© avec le gĂ©nĂ©ral Puga, ancien chef dâĂ©tat-major particulier de deux prĂ©sidents (Nicolas Sarkozy et François Hollande), une relation quâil qualifie dâamicale, lâinvitant Ă participer Ă des dĂźners et Ă des Ă©vĂ©nements personnels, mais aussi Ă sĂ©journer dans une de ses villas en Corse.
Ă la tĂȘte du groupe hĂŽtelier Cible, lâĂ©lu a aussi fait appel en 2018 en tant que prestataire Ă un des fils du gĂ©nĂ©ral Puga, qui venait tout juste de crĂ©er son entreprise. Il avait Ă©galement embauchĂ©, un an plus tĂŽt, la fille dâun administrateur du palais de la LĂ©gion dâhonneur. Dans le mĂȘme temps, Jean-Pierre Bansard a proposĂ© Ă plusieurs de ses proches dâĂȘtre dĂ©corĂ©s de la LĂ©gion dâhonneur et de lâordre national du MĂ©rite, pilotant directement ces demandes, dâaprĂšs nos informations.
Selon un dĂ©compte rĂ©alisĂ© entre 2016 et 2023, au moins douze personnes de son entourage familial ou politique ont Ă©tĂ© dĂ©corĂ©es sur cette pĂ©riode (lire le dĂ©tail dans notre BoĂźte noire). Ă chaque fois, comme le prĂ©voient les textes, les nominations ont Ă©tĂ© validĂ©es par le conseil de lâordre de la LĂ©gion dâhonneur, sans que le grand chancelier ne se dĂ©porte des dossiers, malgrĂ© ses liens personnels avec Jean-Pierre Bansard.
Mais surtout, dans six dossiers â dont celui de la collaboratrice parlementaire Sarah Cacoub â, les attributions ont Ă©tĂ© faites directement sur le contingent de la chancellerie (et non sur proposition ministĂ©rielle, comme câest majoritairement le cas), ce qui veut dire que les candidatures ont Ă©tĂ© portĂ©es par BenoĂźt Puga.
En thĂ©orie, ces demandes particuliĂšres sont surtout censĂ©es venir compenser des oublis dans les demandes Ă©manant des ministĂšres, par exemple pour des vĂ©tĂ©rans de guerre, prĂ©cise un ancien de la LĂ©gion dâhonneur : « Le grand chancelier prĂ©sente les dossiers de son contingent en dĂ©but de sĂ©ance, le conseil de lâordre les avalise. »
Il est de bon ton de se moquer de la LĂ©gion dâhonneur, de dire que depuis bien longtemps le mĂ©rite et lâamour de la nation ne constituent plus les principaux critĂšres dâattribution. Il nâempĂȘche : son prestige est quasi intact. Ă chaque promotion, la liste suscite articles et commentaires. Les anciens chefs dâĂtat la portent systĂ©matiquement Ă la veste. Et beaucoup de notables donneraient pĂšre et mĂšre, remueraient ciel et terre pour un jour pouvoir en ĂȘtre dĂ©corĂ©s.
Est-il possible que dâautres aient pris un chemin bien plus simple et direct ?
SollicitĂ©s par Mediapart, le gĂ©nĂ©ral et Jean-Pierre Bansard nâont pas rĂ©pondu Ă nos questions prĂ©cises. Au tĂ©lĂ©phone, le premier a Ă©vacuĂ© notre demande en affirmant quâil ne rĂ©pondait pas, « par principe », « aux questions des journalistes, notamment sur [sa] vie professionnelle ou privĂ©e ». Le second sâest murĂ© dans le silence, comme il le fait avec Mediapart depuis des annĂ©es.
Ăgalement interrogĂ©e, la grande chancellerie de la LĂ©gion dâhonneur, dĂ©sormais dirigĂ©e par le gĂ©nĂ©ral François Lecointre (ancien chef dâĂ©tat-major particulier dâEmmanuel Macron), sâest contentĂ©e dâune rĂ©ponse gĂ©nĂ©rale. « Comme pour les propositions des ministres, les attributions faites sur le contingent du grand chancelier Ă©manent de sources diverses, parfois de parlementaires », a simplement rappelĂ© lâinstitution. En prĂ©cisant que toutes les demandes « font lâobjet de toutes les vĂ©rifications rĂ©glementaires et dâusage avant dâĂȘtre prĂ©sentĂ©es au conseil de lâordre qui Ă©met, Ă la majoritĂ©, un avis de recevabilitĂ© sur chacune ».
Dans le code de la LĂ©gion dâhonneur, qui rĂ©git le fonctionnement des ordres nationaux, aucun article nâest consacrĂ© stricto sensu Ă la question des conflits dâintĂ©rĂȘts. Toutefois, selon un ancien membre de lâinstitution, des rĂšgles de bon sens sâappliquent : les membres du conseil de lâordre sâinterdisent de recevoir des faveurs et se dĂ©portent systĂ©matiquement sâils connaissent une des personnes concernĂ©es, pour se tenir Ă©loignĂ©s de toute forme de pression.
Les millions [dâeuros], câest agrĂ©able. Mais la LĂ©gion dâhonneur, câest quelque chose dâautre. Ăa tient chaud.
Jean-Pierre Bansard
Sâil se montre aussi dĂ©vouĂ© pour dĂ©corer ses proches, câest que Jean-Pierre Bansard accorde lui-mĂȘme la plus haute importance aux titres honorifiques. Dans son bureau sur les Champs-ĂlysĂ©es, ce chef dâentreprise accompli expose fiĂšrement toutes ses dĂ©corations, glanĂ©es au fil des ans. « Câest quelquâun qui a une obsession de la respectabilitĂ© », rĂ©sume une de ses connaissances.
Jean-Pierre Bansard, qui a dĂ©barquĂ© Ă Marseille en provenance dâOran en 1962, avec en tout et pour tout 200 francs en poche, sâappelait Ă lâĂ©poque BensaĂŻd. Il changera de nom pour Ă©chapper Ă lâantisĂ©mitisme. « Nous nâĂ©tions pas vraiment les bienvenus en mĂ©tropole. Il nây avait pas 36 façons de se faire une petite place. Il nây avait que le travail », se souvient-il, dans le portrait que lui a consacrĂ© en 2022 le journaliste du Point Romain Gubert dans son livre La DĂ©coration (Ă©ditions Grasset).
Ă 22 ans, Jean-Pierre Bansard enchaĂźne les « petits boulots » sur le Vieux Port, avant de se lancer, en autodidacte, dans lâimport-export. Il fonde sa premiĂšre sociĂ©tĂ© de transit, achĂšte des entrepĂŽts du cĂŽtĂ© de Rungis puis crĂ©e au dĂ©but des annĂ©es 1980 le groupe immobilier Cible avec le dĂ©corateur Christian Liaigre. Lâhomme dâaffaires, qui rĂȘve de se faire une rĂ©putation, rĂ©nove le siĂšge de lâAcadĂ©mie Goncourt, rachĂšte la cĂ©lĂšbre marque Solex et prend la tĂȘte du Consistoire de 1992 Ă 1994. Avant de parvenir, bien des annĂ©es plus tard et aprĂšs plusieurs Ă©checs, Ă se faire Ă©lire au Parlement coĂ»te que coĂ»te.
Dans La DĂ©coration, Bansard raconte comment il a « pleurĂ© une nuit entiĂšre » quand le premier ministre Raymond Barre lui a remis sa premiĂšre mĂ©daille, celle du MĂ©rite, Ă la fin des annĂ©es 1970. La scĂšne sâest rĂ©pĂ©tĂ©e quand il sâest fait Ă©pingler la LĂ©gion dâhonneur vingt ans plus tard. Jean-Pierre Bansard est ensuite fait « commandeur » en 2008 et accĂšde Ă la dignitĂ© de « grand officier » en 2015. « Les millions, câest agrĂ©able. Mais la LĂ©gion dâhonneur, câest quelque chose dâautre. Ăa tient chaud. Ăa brille dans le cĆur », dĂ©crit-il.
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Dans le livre, le sĂ©nateur sâexprime Ă©galement sur son lien dâ« amitiĂ© » avec le gĂ©nĂ©ral Puga, expliquant lâavoir « invitĂ© chez [lui] » en Corse pour des vacances. « Bansard ne doit rien au grand chancelier puisquâil a Ă©tĂ© dĂ©corĂ© bien avant la nomination de ce dernier », prend soin de prĂ©ciser le journaliste Romain Gubert. Si lâaffirmation vaut pour Jean-Pierre Bansard, elle ne sâapplique pas Ă ses proches.
DâaprĂšs nos informations, le sĂ©nateur a fait construire, en 2013, un domaine de six villas de luxe sur les hauteurs de Calvi, Ă une dizaine de minutes de lâaĂ©roport. Câest lĂ que BenoĂźt Puga sâest rendu. « Une fois », assure-t-il Ă Mediapart par tĂ©lĂ©phone. A-t-il bien Ă©tĂ© invitĂ© dans son domaine par le sĂ©nateur ? « Oui, bien sĂ»r », confirme-t-il, en refusant dâen dire plus sur les conditions de cette invitation (durĂ©e, prise en charge du transport, etc.). « Calvi, ce ne sont pas les terres de Monsieur Bansard, je connais mieux Calvi que Monsieur Bansard », ajoute-t-il, avant dâindiquer quâil ne souhaite pas aller plus loin dans lâentretien. Il est vrai quâil y a notamment commandĂ© le 2e rĂ©giment de parachutistes, de 1996 Ă 1998.
Les relations entre les deux hommes, aux tempĂ©raments si diffĂ©rents â « lâun tout en rondeurs, lâautre sec comme un combattant », relĂšve Romain Gubert dans son livre â ne sâarrĂȘtent pas lĂ . DâaprĂšs nos informations, le groupe Cible a fait appel en 2018 Ă la sociĂ©tĂ© Puga immobilier construction, que venait de crĂ©er lâun des fils du gĂ©nĂ©ral, pour participer aux travaux de rĂ©novation de lâhĂŽtel Le Marcel, situĂ© en face de la gare de lâEst Ă Paris.
Selon un tĂ©moignage interne, lâidĂ©e de travailler avec cette toute jeune entreprise serait venue Ă Jean-Pierre Bansard lui-mĂȘme. Augustin Puga, alors ĂągĂ© de 27 ans, a participĂ© Ă des rĂ©unions de chantier en compagnie de Nathalie Bansard, lâune des filles du sĂ©nateur, qui dirige la filiale hĂŽteliĂšre de Cible. Mais, selon le tĂ©moin prĂ©cĂ©demment citĂ©, le rĂŽle de Puga immobilier construction aurait Ă©tĂ© limitĂ©, la dĂ©marche ayant surtout pour objectif de « mettre le pied Ă lâĂ©trier » au jeune entrepreneur pour « faire plaisir Ă son pĂšre ». ConfrontĂ©s Ă ces dĂ©clarations, Jean-Pierre Bansard et Augustin Puga nâont pas souhaitĂ© les commenter.
Un an avant de faire appel Ă Puga immobilier construction, Cible avait dĂ©jĂ procĂ©dĂ© Ă un recrutement dans le mĂȘme Ă©cosystĂšme. La fille dâYves Minjollet, administrateur du palais de la LĂ©gion dâhonneur, a Ă©tĂ© recrutĂ©e Ă la sortie de ses Ă©tudes par le groupe de Jean-Pierre Bansard, Ă compter de mars 2017, sur un poste dâassistante de direction, quâelle a occupĂ© pendant plus de deux ans jusquâen octobre 2019.
SollicitĂ©e par Mediapart, la jeune femme nâa pas retournĂ© notre demande dâentretien. Aujourdâhui Ă la retraite, son pĂšre nous a affirmĂ© que ce recrutement, combinĂ© Ă la prestation accordĂ©e au fils du gĂ©nĂ©ral Puga, Ă©tait un pur « hasard ». « Bansard, je ne le connais pas plus que ça. Il est venu aprĂšs avoir Ă©tĂ© Ă©levĂ© Ă la dignitĂ© de grand officier [en 2016] et a demandĂ© Ă ĂȘtre reçu par le grand chancelier. On mâa demandĂ© de lui montrer les salons, et voilĂ comment les choses se sont faites », nous a-t-il indiquĂ©, assurant ne pas avoir prĂ©sentĂ© sa fille Ă lâhomme dâaffaires.
En mars 2017, au moment oĂč ce recrutement se fait, le fondateur du groupe Cible organise pour ses activitĂ©s politiques une soirĂ©e Ă lâhĂŽtel de Salm, le somptueux palais qui abrite le siĂšge de la LĂ©gion dâhonneur depuis 1804 sur les bords de Seine. Dans le but de rĂ©aliser son rĂȘve de devenir sĂ©nateur, Jean-Pierre Bansard a crĂ©Ă© en 2009 son propre microparti, lâASFE (Alliance solidaire des Français de lâĂ©tranger), lui permettant de concourir aux Ă©lections dans la circonscription unique des Français et Françaises de lâĂ©tranger, aussi grande par sa taille (le monde entier) que petite par son collĂšge Ă©lectoral (532 Ă©lecteurs et Ă©lectrices), faisant de cette anomalie dĂ©mocratique un paradis du clientĂ©lisme. Lâannulation de la premiĂšre Ă©lection de Jean-Pierre Bansard a donnĂ© lieu Ă un signalement du Conseil constitutionnel ayant dĂ©bouchĂ©, selon nos informations, sur lâouverture dâune enquĂȘte prĂ©liminaire par le parquet de Paris. Les investigations, confiĂ©es Ă la Brigade de rĂ©pression de la dĂ©linquance aux personnes (BRDP), sont toujours en cours, indique une source judiciaire.
La fastueuse rĂ©ception de mars 2017 sâest tenue en prĂ©sence de nombreux conseillers et conseillĂšres consulaires, qui Ă©taient justement appelé·es Ă se rendre aux urnes six mois plus tard pour les sĂ©natoriales, auxquelles Jean-Pierre Bansard Ă©tait candidat. Pour son « dĂźner de gala », lâhomme dâaffaires a mis les petits plats dans les grands, offrant mĂȘme Ă ses invité·es un concert privĂ© de deux violoncellistes de renom, les sĆurs Camille et Julie Berthollet. MalgrĂ© le caractĂšre politique de lâĂ©vĂ©nement, il a fait rĂ©gler une partie de la note par le groupe Cible, et non par le parti ASFE, comme lâa rĂ©vĂ©lĂ© Mediapart en 2021.
Jean-Pierre Bansard avait dĂ©jĂ privatisĂ© une premiĂšre fois lâhĂŽtel de Salm, le 6 octobre 2016. Cette fois, il sâagissait de cĂ©lĂ©brer « son Ă©lĂ©vation Ă la dignitĂ© de grand officier de la LĂ©gion dâhonneur » mais aussi de profiter de la « venue Ă Paris » des conseillers consulaires Ă lâoccasion de la « 25e session de lâAssemblĂ©e des Français de lâĂ©tranger (AFE) », comme lâindiquait le carton dâinvitation. Le document, siglĂ© du logo de lâASFE, annonçait la « prĂ©sence de Son Excellence le gĂ©nĂ©ral dâarmĂ©e BenoĂźt Puga », ainsi que « la participation des solistes internationaux du Conservatoire de Vienne ».
Ă chaque fois, la rĂ©servation de lâhĂŽtel de Salm sâest faite par le biais du gardien des lieux, lâadministrateur Yves Minjollet. « Aucune prestation ne se fait sans que cela soit encadrĂ© par une convention », rappelle-t-il. QuestionnĂ©e sur cette situation, la grande chancellerie se contente dâindiquer que les privatisations, dont les recettes « contribuent directement Ă lâentretien des bĂątiments », se sont faites « pour des montants conformes aux tarifs fixĂ©s par le conseil de lâordre ».
Une nouvelle « soirĂ©e de gala » est organisĂ©e le 6 octobre 2022, en lâhonneur de Jean-Pierre Bansard et de sa numĂ©ro 2, Ăvelyne Renaud-GarabĂ©dian. AssociĂ©e historique au sein du groupe Cible, cette derniĂšre a aussi dĂ©crochĂ© un siĂšge au SĂ©nat grĂące aux rĂ©sultats spectaculaires de lâASFE ces derniĂšres annĂ©es. Au Palais du Luxembourg, les deux Ă©lus siĂšgent dans le groupe Les RĂ©publicains (LR) et lâASFE prĂ©sente Ă nouveau une liste aux Ă©lections sĂ©natoriales du 24 septembre prochain, sur lesquelles figurent Ăvelyne Renaud-GarabĂ©dian et⊠Sarah Cacoub.
Cette fois, la sauterie dâoctobre 2022 ne se tient plus dans les salons de lâhĂŽtel de Salm mais dans la salle de rĂ©ception de lâhĂŽtel Intercontinental, un cinq Ă©toiles que possĂšde le groupe Cible Ă deux pas de lâArc de Triomphe. Elle rassemble des conseillers et conseillĂšres consulaires, bien sĂ»r, et un parterre pour le moins hĂ©tĂ©roclite de personnalitĂ©s : le champion de taekwondo Pascal Gentil, lâavocate et ex-ministre Corinne Lepage, lâĂ©ditorialiste du Figaro Yves ThrĂ©ard (qui a aussi participĂ© Ă des vidĂ©os de lâASFE dans le passĂ©), comme lâa racontĂ© la Lettre A.
Entre un concert dâEnrico Macias, venu avec quatre musiciens, et un sketch dâĂlie Semoun, surprise : voilĂ BenoĂźt Puga, en uniforme militaire, avec son Ă©charpe rouge de grand-croix de la LĂ©gion dâhonneur, qui se lĂšve de sa tablĂ©e pour prendre la parole devant lâassistance. « Jâai Ă©tĂ© trĂšs Ă©tonnĂ© de voir le gĂ©nĂ©ral prĂ©sent en tenue Ă cette soirĂ©e. Le contraste avec Ălie Semoun Ă©tait plutĂŽt saisissant », commente un invitĂ©, restĂ© incrĂ©dule devant cette scĂšne.
InterrogĂ© sur la compatibilitĂ© entre ses fonctions et sa participation Ă cet Ă©vĂ©nement, BenoĂźt Puga relativise le poids politique de lâASFE, avec une explication peu comprĂ©hensible : « Câest un parti politique qui nâa dâexistence que pour la partie du SĂ©nat et la reprĂ©sentation des sĂ©nateurs. »
Une assistante de Jean-Pierre Bansard mâa appelĂ© pour me dire que câĂ©tait une candidature superbe, jâai transmis mon CV.
Un conseiller consulaire
Pour le microparti de Jean-Pierre Bansard, le bĂ©nĂ©fice de cette proximitĂ© avec le grand chancelier ne sâarrĂȘte de toute Ă©vidence pas lĂ . En plus des dĂ©corations octroyĂ©es aux membres de sa famille, un ancien proche de lâhomme dâaffaires tĂ©moigne du fait que le sĂ©nateur aurait profitĂ© de sa position privilĂ©giĂ©e pour proposer « des dĂ©corations Ă des Ă©lus consulaires », grands Ă©lecteurs des sĂ©nateurs et sĂ©natrices donc, « y compris devant [lui] ».
Un conseiller consulaire, basĂ© aux Ătats-Unis, affirme ainsi sâĂȘtre vu proposer dâintĂ©grer lâordre de la LĂ©gion dâhonneur au cours dâun dĂźner avec le sĂ©nateur. « Ensuite, une de ses assistantes mâa appelĂ©, une heure au tĂ©lĂ©phone, pour me dire que câĂ©tait une candidature superbe, jâai transmis mon CV », indique-t-il. Mais le processus se serait finalement brusquement interrompu, au cours dâun second rendez-vous avec Jean-Pierre Bansard. « Il mâa dit : âEst-ce que tu rejoins notre groupe [lâASFE] ?â Jâai dit non. Il mâa rĂ©pondu : âOn nâa pas besoin de toi mais apparemment tu avais besoin de moiâ, et mâa alors fait comprendre que je ne serais pas dĂ©corĂ© », retrace-t-il, en expliquant que « [son] dossier nâa dâailleurs pas Ă©tĂ© traitĂ© ensuite ».
Comme lâĂ©crit le professeur de sociologie historique Olivier Ihl dans Le MĂ©rite et la RĂ©publique. Essai sur la sociĂ©tĂ© des Ă©mules (Ă©ditions Gallimard, 2007), ces remises publiques de dĂ©corations forment autant dâoccasions, pour les Ă©lu·es, « dâalimenter lâexpansion dâun rĂ©seau de pouvoir en [les] transformant en vĂ©ritable fontaine dâhonneur ». Dit autrement, la thĂšse de son enquĂȘte dĂ©fend lâidĂ©e que le vĂ©ritable bĂ©nĂ©ficiaire dâune dĂ©coration nâest pas tant celui qui la reçoit que celui qui permet de la recevoir.
Antton Rouget