par Daniel Schneidermann, publié le 22 septembre 2024 à 16h36

Dans le procĂšs des viols de Mazan, qui se tient en Avignon, se joue Ă  l’évidence quelque chose, mais quoi ? C’est le premier procĂšs du patriarcat, assure, unanime, le plateau de C ce soir, autour de Karim Rissouli et de Camille Diao. La sĂ©dation imposĂ©e par son mari Ă  la victime GisĂšle Pelicot, l’inimaginable nombre des violeurs prĂ©sumĂ©s, la diversitĂ© trĂšs «sociĂ©tĂ© française» de leurs profils, leurs Ă©rections Ă  l’idĂ©e de pĂ©nĂ©trer une femme inconsciente et comateuse, leur absence d’empathie pour la victime pendant et aprĂšs, jusqu’aux couloirs du palais de justice : tous ces Ă©lĂ©ments feraient emblĂšmes, et s’assembleraient ici comme un puzzle. Tous rassemblĂ©s rĂ©vĂ©leraient, comme dans un bain photographique, non pas un fait divers monstrueux, mais la sociĂ©tĂ© patriarcale dans toute sa hideur. «J’ai mal au bide en tant qu’homme», avoue Rissouli, sur Instagram, hors antenne.

L’hypothĂšse est vertigineuse – mais depuis #MeToo, on s’efforce de gĂ©rer ces vertiges. Elle est sans doute insupportable Ă  la majoritĂ© des hommes. Mais ce vertige mĂȘme rend son examen indispensable.

Heureusement pour les hommes tourneboulĂ©s, cette thĂšse du «procĂšs du patriarcat» rencontre trĂšs vite son antidote sur les chaĂźnes privĂ©es. «Not all men !» s’exclament ensemble LCI et CNews. «Halte Ă  l’autoflagellation», s’exclame Ruth Elkrief (LCI) dans un «parti pris» chez David Pujadas, dĂ©celant dans cette accusation envers les hommes «une essentialisation de genre, comme l’essentialisation tout court». Et le policier qui a patiemment menĂ© toute l’enquĂȘte ? renchĂ©rit la journaliste du Figaro EugĂ©nie BastiĂ© sur Europe 1. Ce n’est pas un homme, ce brigadier-chef ? CQFD.

Mais si le patriarcat est disculpĂ©, Ă  qui la faute ? Heureusement, chez BollorĂ©, les autres coupables ne manquent pas. Tels qu’Adam et Eve, explique le lendemain le philosophe Michel Onfray, sur CNews : «Le coupable, c’est pas le
 patriarcat, c’est la bĂȘte en nous. Les chrĂ©tiens parlent du pĂ©chĂ© originel et disent qu’il y a le mal en l’homme. Ce mal Ă©tait empĂȘchĂ© par le catholicisme, les prĂȘtres, la morale rĂ©publicaine. Tout ça s’est effondrĂ©.»

Entre Ă©chappatoires et esquives

Suspecte parfaite, Eve. Sans parler du serpent. Mais plus prĂšs de nous ? Toujours sur CNews, Sonia Mabrouk lance le dĂ©bat : «On a tous cette part trĂšs noire, monstrueuse, en nous ?» DĂ©file alors toute la galerie des Ă©chappatoires et des esquives. Sabrina Medjebeur, «essayiste» [autrice d’un ouvrage Ă  compte d’auteur aux Ă©ditions Baudelaire, ndlr] : dĂ©noncer le patriarcat, d’accord, mais tous les patriarcats, y compris ceux qui se dĂ©roulent «dans des normes communautaires [devinez lesquelles, ndlr] oĂč la fille est invisibilisĂ©e et l’homme sacralisé». Tant qu’on y est, n’oublions pas le «matriarcat sacrificiel». D’ailleurs, «il y a aussi des femmes empoisonneuses ou infanticides».

Pour Gabrielle Cluzel (Boulevard Voltaire), «il est injuste d’essentialiser les hommes». La preuve ? «Arnaud Beltrame, qui est mort pour sauver une femme, Arthur Serin, qui a portĂ© la flamme olympique [il a sauvĂ© sa voisine ĂągĂ©e lors d’un incendie et a, pour cela, Ă©tĂ© choisi pour porter la flamme, ndlr]. Et SĂ©bastien, on ne connaĂźt que son prĂ©nom, hĂ©ros du Bataclan, qui a sauvĂ© une femme enceinte.» Sur trois hĂ©ros citĂ©s, deux se sont dressĂ©s contre la terreur islamiste. Bien jouĂ©, dans la figure imposĂ©e de CNews (toujours ramener tous les flĂ©aux Ă  l’islam, mĂȘme la pluie en vacances).

Complices du crime : les nĂ©ofĂ©ministes. Sabrina Medjebeur : «On ne les a pas vues s’insurger et soutenir les femmes qui ont subi les viols de Tariq Ramadan. On les a vues ostraciser la jeune Claire Geronimi [viol de 2023, surmĂ©diatisĂ© par toutes les tĂ©lĂ©s BollorĂ©, ndlr], violĂ©e par une OQTF [obligation de quitter le territoire français]. On ne les a pas vues au procĂšs de Shaina [en 2019, ndlr] morte brĂ»lĂ©e vive par le jeune homme qui avait refusĂ© que son enfant soit un bĂątard.» Gabrielle Cluzel : «Ces nĂ©ofĂ©ministes, qui ont conspuĂ© la galanterie, pourraient se regarder dans une glace. Quand un homme cĂšde le pas Ă  une femme, quand il la sert en premier Ă  table, que lui dit-il ? Je maĂźtrise ma force.» Et ce n’est pas tout. «Toutes les fĂ©ministes Ă©chevelĂ©es hĂ©ritiĂšres de Beauvoir, il faudra qu’elles nous expliquent si elles n’ont pas Ă©tĂ© complices de la vision de femmes objets, qui s’est dĂ©veloppĂ©e dans notre sociĂ©tĂ©.»

Le patriarcat est relaxĂ©. La faute Ă  Eve, la faute au serpent, la faute Ă  Beauvoir, la faute aux nĂ©ofĂ©ministes. On n’oublie personne ? Ah si! Gabrielle Cluzel : «Non, les hommes ne sont pas bons. Il y a une vision rousseauiste de l’homme Ă  la base de tous nos malheurs.» Oui, la faute Ă  Rousseau, aussi.