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La mise en place chaotique du pacte enseignant dans les Ă©tablissements : « Ăa arrive comme une bombe dans les salles des profs »**
Qui signera, qui ne signera pas ? Le dĂ©ploiement du nouvel outil proposant des missions supplĂ©mentaires aux enseignants en Ă©change dâune rĂ©munĂ©ration forfaitaire se fait dans la confusion. A la veille des vacances, et alors quâil doit ĂȘtre lancĂ© Ă la rentrĂ©e, aucun texte officiel nâa encore Ă©tĂ© publiĂ©.
PassĂ© le temps des annonces politiques, la question sâest installĂ©e dans les salles des professeurs : qui signera le pacte enseignant ? « Selon un sondage que nous avons rĂ©alisĂ©, nous espĂ©rons ĂȘtre au-dessus de notre objectif cible de 30 % dâadhĂ©sion », dĂ©clarait rĂ©cemment le ministre de lâĂ©ducation nationale, Pap Ndiaye. Mais aucun chiffre nâest encore remontĂ© du terrain, oĂč le dĂ©ploiement de ce nouvel outil permettant de proposer des missions supplĂ©mentaires aux enseignants en Ă©change dâune rĂ©munĂ©ration forfaitaire se fait dans la confusion.
Dans les Ă©tablissements scolaires, on parle du « grand flou » qui rĂšgne encore Ă quatre jours de la fermeture des Ă©coles, collĂšges et lycĂ©es. Alors que le pacte doit se mettre en place pour la rentrĂ©e, professeurs, directeurs dâĂ©cole et chefs dâĂ©tablissement attendaient toujours, mardi 4 juillet, la parution des textes officiels.
« Nous avons vu passer des ordres et des contre-ordres tout le mois de juin Ă coups de diaporamas et de foires aux questions, mais toujours aucune base lĂ©gale pour dire exactement aux collĂšgues Ă quoi ils sâengagent », sâexaspĂšre Faustine Ottin, directrice Ă Bruay-sur-lâEscaut, dans le Nord, oĂč deux enseignants sur douze « envisagent » dâadhĂ©rer au pacte.
Le principe est connu depuis que le ministĂšre de lâĂ©ducation nationale a dĂ©taillĂ© le fonctionnement du dispositif au mois dâavril. Les enseignants volontaires peuvent choisir entre une et trois « briques » de missions dĂ©finies par la rue de Grenelle, chacune rĂ©munĂ©rĂ©e Ă hauteur de 1 250 euros annuels pour un volume horaire compris entre dix-huit et vingt-quatre heures. En lycĂ©e professionnel, le pacte peut contenir jusquâĂ six briques. Dans les Ă©coles, collĂšges et lycĂ©es gĂ©nĂ©raux, certaines dâentre elles, indispensables Ă lâapplication de politiques gouvernementales, sont Ă©tiquetĂ©es comme prioritaires : lâintervention en 6e pour une heure de soutien pour les professeurs de primaire ; le remplacement de courte durĂ©e pour ceux du second degrĂ©.
Des consignes qui diffĂšrent
Sur le terrain, toutefois, ces grandes lignes ont laissĂ© en suspens une avalanche de questions aussi techniques que cruciales pour lâapplication du pacte et qui, en lâabsence de dĂ©cret dâapplication, donnent lieu à « une cacophonie dâinterprĂ©tations locales », dĂ©plore Audrey Chanonat, secrĂ©taire nationale du SNPDEN-UNSA, majoritaire chez les chefs dâĂ©tablissement.
Selon les endroits, des informations diffĂ©rentes ont Ă©tĂ© donnĂ©es sur la participation des enseignants de maternelle au soutien en 6e, sur le pĂ©rimĂštre des projets ouvrant droit Ă une rĂ©munĂ©ration au nom de la brique « projets pĂ©dagogiques innovants », ou encore sur lâĂ©ventualitĂ© de rĂ©munĂ©rer via le pacte les heures « dâautoremplacement » durant lesquelles les professeurs du second degrĂ© rattrapent leurs propres absences.
Plus problĂ©matique, les enseignants et les directions ne savent toujours pas prĂ©cisĂ©ment sâil sera indispensable dâaccepter une mission dĂ©finie comme prioritaire par le ministĂšre pour pouvoir prendre dâautres briques de pacte, comme les stages de rĂ©ussite pour faire de la remise Ă niveau pendant les vacances, la participation au dispositif « Devoirs faits au collĂšge » ou la coordination de projets.
« A priori, il nâest Ă©crit nulle part que ces missions sont obligatoires,* souligne Audrey Chanonat, principale de collĂšge Ă Cognac (Charente)*. Par contre, on nous demande bien de distribuer dâabord les missions prioritaires, surtout le remplacement, et cela nous met dans des positions trĂšs inconfortables. »
Un dispositif largement décrié
Cette absence de cadre clair enraye un peu plus le dĂ©ploiement serein dâun dispositif dĂ©jĂ rejetĂ© par tous les syndicats et par une majoritĂ© dâenseignants. Dans les Ă©tablissements, les oppositions restent fortes contre une mesure dĂ©criĂ©e pour ĂȘtre la dĂ©clinaison du « travailler plus pour gagner plus » appliquĂ© Ă une profession qui alerte sur un important alourdissement de sa charge de travail.
« Nous sommes des fonctionnaires de lâĂ©ducation nationale, nous avons passĂ© un concours qui nous donne droit Ă un statut et cette forme de contractualisation y porte atteinte », dĂ©nonce aussi Sylvie (les personnes citĂ©es par leur prĂ©nom nâont pas souhaitĂ© donner leur nom), professeure dâanglais en Bretagne. Dans son lycĂ©e, elle a signĂ©, comme une quinzaine dâautres enseignants, une pĂ©tition du SNES-FSU appelant Ă ne pas adhĂ©rer au pacte. Comme beaucoup dâautres, elle sâalarme des « pressions » de la part de certaines directions racontĂ©es par des collĂšgues, et redoute que des tensions apparaissent dans les Ă©quipes.
« Le pacte arrive comme une bombe dans les salles des profs oĂč la colĂšre des enseignants est grande », observe Lydia Advenier, proviseure dâun lycĂ©e Ă Lyon et membre du bureau exĂ©cutif du SNPDEN, qui dĂ©plore un dispositif trop rigide et une mise en Ćuvre trop prĂ©cipitĂ©e. Aucun des soixante enseignants de son Ă©tablissement ne sâest positionnĂ© en cette fin dâannĂ©e pour la moindre mission.
« Ils ont opposĂ© un refus collectif Ă un dispositif encore trop flou et qui ne correspond pas Ă la revalorisation quâon leur avait promise, rapporte-t-elle. LâexaspĂ©ration est dâautant plus vive quâils voient arriver tous ces moyens alors quâils rĂ©clament depuis longtemps des heures pour faire du soutien, des petits groupes, et quâon ne nous les donne pas. »
Les remplacements au cĆur des tensions
Ailleurs, des enseignants ont acceptĂ© le principe, mais pas nĂ©cessairement pour se lancer sur les missions prioritaires pour le ministĂšre. Dans le second degrĂ©, lâidĂ©e de sâengager pour au moins dix-huit heures annuelles de remplacement de courte durĂ©e cristallise les tensions.
« Jâai deux volontaires pour âdevoirs faitsâ mais aucun pour la brique âremplacementâ, qui crĂ©e vraiment un blocage », constate par exemple Nicolas Bonnet, principal dâun collĂšge Ă Blanquefort (Gironde), secrĂ©taire dĂ©partemental du SNPDEN, qui doit rĂ©partir soixante-quatre briques pour cinquante-trois enseignants. « Quelle est la plus-value pĂ©dagogique de sâengager Ă remplacer au pied levĂ© un collĂšgue dâune matiĂšre diffĂ©rente, devant des classes que nous ne connaissons pas ? », sâagace Thibault, professeur dâhistoire-gĂ©ographie dans lâacadĂ©mie de CrĂ©teil.
Le dispositif sâavĂšre particuliĂšrement pĂ©rilleux Ă mettre en Ćuvre au lycĂ©e, oĂč tous les Ă©lĂšves ne font pas les mĂȘmes spĂ©cialitĂ©s et viennent de plusieurs classes diffĂ©rentes. « Ăa nâa aucun sens de faire remplacer une heure de tronc commun [comme le français, la philosophie ou lâhistoire gĂ©ographie] par un prof de spĂ©cialitĂ© alors que tous les Ă©lĂšves de la classe nâont pas choisi celle quâil enseigne », dĂ©taille lâenseignant.
Philippe, enseignant de 61 ans dans un collĂšge de la Manche, a hĂ©sitĂ©. Comme beaucoup, il fait dĂ©jĂ des remplacements, mais pas Ă hauteur de dix-huit heures annuelles. Il pourra continuer en dehors du pacte, mais sera payĂ©, comme aujourdâhui, environ 45 euros de lâheure, contre 69 euros avec le nouveau contrat. « Câest fou dâĂȘtre payĂ© moins pour faire strictement la mĂȘme chose, mais on ne sait pas Ă quel point on sera contraint si on signe, explique-t-il. Si je mets un doigt dans lâengrenage, jâai peur que le bras parte avec. »
Un dispositif largement décrié
Cette absence de cadre clair enraye un peu plus le dĂ©ploiement serein dâun dispositif dĂ©jĂ rejetĂ© par tous les syndicats et par une majoritĂ© dâenseignants. Dans les Ă©tablissements, les oppositions restent fortes contre une mesure dĂ©criĂ©e pour ĂȘtre la dĂ©clinaison du « travailler plus pour gagner plus » appliquĂ© Ă une profession qui alerte sur un important alourdissement de sa charge de travail.
« Nous sommes des fonctionnaires de lâĂ©ducation nationale, nous avons passĂ© un concours qui nous donne droit Ă un statut et cette forme de contractualisation y porte atteinte », dĂ©nonce aussi Sylvie (les personnes citĂ©es par leur prĂ©nom nâont pas souhaitĂ© donner leur nom), professeure dâanglais en Bretagne. Dans son lycĂ©e, elle a signĂ©, comme une quinzaine dâautres enseignants, une pĂ©tition du SNES-FSU appelant Ă ne pas adhĂ©rer au pacte. Comme beaucoup dâautres, elle sâalarme des « pressions » de la part de certaines directions racontĂ©es par des collĂšgues, et redoute que des tensions apparaissent dans les Ă©quipes.
« Le pacte arrive comme une bombe dans les salles des profs oĂč la colĂšre des enseignants est grande », observe Lydia Advenier, proviseure dâun lycĂ©e Ă Lyon et membre du bureau exĂ©cutif du SNPDEN, qui dĂ©plore un dispositif trop rigide et une mise en Ćuvre trop prĂ©cipitĂ©e. Aucun des soixante enseignants de son Ă©tablissement ne sâest positionnĂ© en cette fin dâannĂ©e pour la moindre mission.
« Ils ont opposĂ© un refus collectif Ă un dispositif encore trop flou et qui ne correspond pas Ă la revalorisation quâon leur avait promise, rapporte-t-elle. LâexaspĂ©ration est dâautant plus vive quâils voient arriver tous ces moyens alors quâils rĂ©clament depuis longtemps des heures pour faire du soutien, des petits groupes, et quâon ne nous les donne pas. »
Les remplacements au cĆur des tensions
Ailleurs, des enseignants ont acceptĂ© le principe, mais pas nĂ©cessairement pour se lancer sur les missions prioritaires pour le ministĂšre. Dans le second degrĂ©, lâidĂ©e de sâengager pour au moins dix-huit heures annuelles de remplacement de courte durĂ©e cristallise les tensions.
« Jâai deux volontaires pour âdevoirs faitsâ mais aucun pour la brique âremplacementâ, qui crĂ©e vraiment un blocage », constate par exemple Nicolas Bonnet, principal dâun collĂšge Ă Blanquefort (Gironde), secrĂ©taire dĂ©partemental du SNPDEN, qui doit rĂ©partir soixante-quatre briques pour cinquante-trois enseignants. « Quelle est la plus-value pĂ©dagogique de sâengager Ă remplacer au pied levĂ© un collĂšgue dâune matiĂšre diffĂ©rente, devant des classes que nous ne connaissons pas ? », sâagace Thibault, professeur dâhistoire-gĂ©ographie dans lâacadĂ©mie de CrĂ©teil.
Le dispositif sâavĂšre particuliĂšrement pĂ©rilleux Ă mettre en Ćuvre au lycĂ©e, oĂč tous les Ă©lĂšves ne font pas les mĂȘmes spĂ©cialitĂ©s et viennent de plusieurs classes diffĂ©rentes. « Ăa nâa aucun sens de faire remplacer une heure de tronc commun [comme le français, la philosophie ou lâhistoire gĂ©ographie] par un prof de spĂ©cialitĂ© alors que tous les Ă©lĂšves de la classe nâont pas choisi celle quâil enseigne », dĂ©taille lâenseignant.
Philippe, enseignant de 61 ans dans un collĂšge de la Manche, a hĂ©sitĂ©. Comme beaucoup, il fait dĂ©jĂ des remplacements, mais pas Ă hauteur de dix-huit heures annuelles. Il pourra continuer en dehors du pacte, mais sera payĂ©, comme aujourdâhui, environ 45 euros de lâheure, contre 69 euros avec le nouveau contrat. « Câest fou dâĂȘtre payĂ© moins pour faire strictement la mĂȘme chose, mais on ne sait pas Ă quel point on sera contraint si on signe, explique-t-il. Si je mets un doigt dans lâengrenage, jâai peur que le bras parte avec. »
Des stages mieux payés mais moins nombreux
Des obstacles similaires existent en primaire pour lâintervention en 6e. « Je suis en classe quatre jours et demi par semaine, jâai deux enfants et je travaille dĂ©jĂ plus de quarante heures par semaine, câest impossible dâaller en plus au collĂšge le soir, si tant est quâils mettent ces heures sur un moment oĂč je suis thĂ©oriquement disponible », rĂ©sume Julia, enseignante en maternelle Ă Toulouse.
« Le collĂšge est Ă vingt mĂštres mais personne ne veut signer pour cette mission », rapporte aussi Thierry Pajot, directeur dâune Ă©cole de treize enseignants Ă Nice. « Les enseignants volontaires dans mon Ă©cole sont ceux qui faisaient dĂ©jĂ des stages de rĂ©ussite et qui veulent ĂȘtre payĂ©s mieux pour ce quâils font, pas travailler davantage », dĂ©veloppe celui qui est aussi secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du Syndicat des directrices et directeurs dâĂ©cole.
Jean, professeur des Ă©coles de 40 ans en rĂ©seau dâĂ©ducation prioritaire renforcĂ© dans le RhĂŽne, nâaccepte ainsi le pacte que pour les stages de rĂ©ussite. « Jâaimerais refuser parce que, sur le principe, je suis contre, admet-il. Mais nous sommes un couple de fonctionnaires avec trois enfants et on a trop sapĂ© notre pouvoir dâachat, je nâai pas dâautre moyen dâaugmenter ma rĂ©munĂ©ration [2 400 euros nets]. » Le pacte lui rapportera 1 130 euros pour deux stages de douze heures, contre 360 euros le stage de quinze heures aujourdâhui. Lui qui a lâhabitude de faire cinq stages de rĂ©ussite par an nâest toutefois plus sĂ»r de pouvoir en faire autant : il lui faudrait signer plus de deux briques, lĂ oĂč son Ă©cole en a reçu seize pour treize enseignants (sur dix-neuf) volontaires pour ces stages.
« Le temps politique nâest dĂ©finitivement pas celui de lâĂ©cole, il ne suffit pas dâappuyer sur un bouton pour que ça marche », pointe Nicolas Bonnet qui compte, lui, six professeurs des Ă©coles volontaires pour intervenir en 6e, mais ne sait pas encore sâil pourra faire correspondre les emplois du temps.
A la veille des vacances, la mĂȘme certitude est partagĂ©e par tous : le pacte â et les mesures qui en dĂ©pendent â sâappliquera de façon trĂšs disparate selon les Ă©tablissements, et rien ne sera en place avant la rentrĂ©e, voire le mois dâoctobre.
Eléa Pommiers
Merci pour le partage !